Vins du Rocher, Préfontaines, Gévéor… Les grands crus de mon enfance. Des vins de table qui rongeaient la nappe et les cœurs. J’en recyclais les bouchons multicolores chez un Diomède du quartier jamais sorti de son tonneau, un artiste aviné qui reproduisait avec cela des Picasso dont certains ressemblaient à des autoportraits. Il les vendait pour la soif et une pièce. A chacune de mes livraisons, il me servait un canon de piquette dans un verre en pyrex et le poussait devant moi : « N’y touche jamais… » Je n’y touchais pas, et alors j’avais le droit de le regarder reproduire. Les Demoiselles d’Avignon. « Elles ont de la cuisse, non ? » Je ne trouvais pas. On s’enticha de ses œuvres. Les prix titrèrent au plus haut. On le surnomma le « Picasso de la piquette » dans une feuille de vigne locale. On lui prédit les pires cirrhoses, il vécut cent ans et plus. On le trouva sur son lit de mort, en habit d’Arlequin aux bouchons, apaisé et le teint clairet. On s’offusqua : c’était à désespérer d’être sobre. Son secret était dans sa cave, seulement accessible à un enfant : un palais des grands crus. « La rançon de la piquette ! » Il me les montrait. « N’y touche jamais… avant de savoir les peindre ». Depuis, le vin est chez moi, sans mot : il peint. Que serait le Clos de Vougeot ? Certainement un Bonnard… Une femme au bain. « Elles ont de la cuisse, non ? » Je trouve, oui…